Investissement de Levgrad

La dernière et la plus difficile des batailles…

C'est en ces termes que Kaljulaid avait présenté l'investissement de Levgrad. En effet, on ne se contenterait pas d'assiéger la ville pour espérer sa redition après de longues semaines. Non, on voulait la prendre et rapidement !

On s'attendait à une résistance désespérée. Les merksises internationaux n'étaient pas venus pour faire de la figuration et les Livadiens n'avaient plus le choix qu'entre vaincre et mourir. Le bruit courait parmi eux que les Nationalistes fusilleraient toute personne prise les armes à la main, et si cette résolution était fausse, elle ne l'était qu'à moitié.

L'investissement commença au matin. Pour ce combat difficile, on déployait des moyens colossaux en terme d'hommes et de matériel. En effet, il faudrait conquérir la ville, quartier par quartier.

Les forces kaljulaidiennes s'engagèrent dans un combat que tous les chefs du micromonde cherchaient à éviter; le combat urbain.

Sur ce champ de bataille, la supériorité matérielle était annulée. Les blindés lourds ne pouvaient pas bien manœuvrer, les bombardements ne se faisaient pas car les lignes étaient trop proches et seuls les hélicoptères pouvaient apporter un léger soutien. En plus de cela, il fallait composer avec les civils pris entre deux feux.

Dieux merci, la ville avait moins d'un siècle d'âge. Aussi, ne comportait-elle que peu de petites ruelles, d'entrelacs où le défenseur aurait fatalement eu l'avantage. On pouvait pousser l'avantage sur les grands boulevards de la ville.

L'avancée était longue et couteuse. On aborda la ville par ses banlieues sud, est et ouest. Les snipers embusqués, les velléités combattantes des merksistes internationaux, et l'énergie du désespoir des défenseurs nationaux fournissaient un cocktail redoutable et si les Nationalistes progressaient, c'était en payant un lourd tribut.

Lourd tribut que les Lansquenets vengeaient en massacrant systématiquement les officiers ennemis pris. On tomba également sur l'intelligentsia ennemi : des intellectuels qui avaient pris parti pour la cause républicaine, des journalistes et hommes de média, quelques prêtres républicains également. Ils furent battus et abattus, les femmes y gagnant les horribles sévices supplémentaires du viol. Rendus nerveux et agités par les combats, les soldats et officiers de l'armée régulière s'y opposaient le plus souvent mollement, parfois avec véhémence, et quelques fois se joignaient à ces crimes.

Au soir, un bon tiers de la ville était pris, aux pris de pertes importantes, mais supportables.

L'offensive se poursuivait, lente et coûteuse. Les snipers ennemis faisaient des cartons sur les attroupements de soldats nationalistes, qui de leur côté, se vengeaient cruellement sur les francs-tireurs isolés dès qu'ils les prenaient.

L'opération pesait sur les nerfs de l'état-major. Alors que la victoire semblait être à portée, la machine s'enrayait, les rouages ne mordant plus les uns dans les autres avec la même efficacité. On prendrait la vile, c'était certain, mais à quel prix ?

Une brigade entière rappelée de Ventspills avait pris possession au sud-est de la ville. Le plan de Kaljulaid était simple. Il fallait prendre le port ! Couper ce cordon ombilical entre les républicains et leurs soutiens extérieurs, en un mot rendre le blocus parfaitement étanche ! Cette fois-ci, pas de faux-semblants ! On allait bombarder la zone, la noyer sous un déluge de feu et d'artillerie, tant pis pour les pertes que cela occasionnerait, à la guerre comme à la guerre !

Des tracts invitant la population civile à fuir la zone furent largués, et deux heures plus tard, les pièces d'artillerie livadiennes jappèrent.

E avant, en avant, plus ultra ! hurlaient les nationalistes pour se donner du courage.

Rakels, qui commandait la percée vers le port, écrivit ces quelques mots à sa femme le soir.

"... Notre progression est terriblement lente et couteuse. Les chefs à Livadia ne comprennent pas pourquoi cette satanée ville n'est toujours pas tombée. Ils ne réalisent pas que l'adversaire s'est renforcée et qu'il combat animé par l'énergie du désespoir et par le fanatisme transcendant du merksisme. Ce soir, mes hommes sont arrivés au port pour tomber sur des positions inexpugnables. Notre seule activité est de survivre et de le ravager, activité que nous partageons de bon cœur avec ceux d'en face. Mes garçons sont sur les nerfs. Ils valent largement leurs aieux du LIV régiment. Dans cette damnée ville, l'armée livadienne acquiert ses titres de noblesse… "

La bataille s'enlisant et les pertes militaires devenant trop lourdes, Kaljulaid ordonna à toutes ses troupes de se tenir sur la défensive.

Il avait pensé passer en force mais les chefs sur le terrain lui avaient fait voir que la prise de Levgrad seraient autrement plus compliqués que celle de Mitau. Les hommes étaient épuisés, il fallait marquer une pause.

Kaljulaid en était vert de rage. La victoire était à sa portée, et toute la racaille merksiste du micromonde venait la lui disputer. Peu importe, c'était une question de temps. On en profita pour inviter la population civile à quitte la ville. Forte de près de deux cent mille habitants, la ville en comptait désormais beaucoup moins. Cent mille Levgradiens l'avaient quitté lors de la consitution de la poche et d'autres encore, du moins ceux qui n'avaient aucune raison de craindre l'OCSE, viendraient sans crainte vers les lignes nationalistes.

Indubitablement, les Nationalistes avaient remporté ce terrible conflit civil.

Rakels, la coqueluche de l'armée, commandant en chef des forces livadiennes à Levgrad entama plusieurs opérations.

La première consistait en le regroupement des prisonniers valdisks. Ils étaient un millier environ. Certains d'entre eux avaient été faits prisonniers plutôt dans la campagne, il s'agissait de rebelles de la première heure venus lors de la proclamation de la République. Néanmoins, la plus grande majorité venait des brigades internationale merksistes. Hagards et épuisés, ils avaient compris qu'ils seraient libérés prochainement et ils ne cachaient pas leur joie. Néanmoins Rakels craignait un coup fourré de ses adversaires. On pouvait se fonder sur la parole d'un état, même communiste mais le jusqu'au boutisme d'Oubliot incitait à la méfiance. Aussi, on informa le commandement valdisk que les prisonniers seraient remis le lundi soir, deux heures avant le départ programmé des étrangers.

Ensuite, il fallait gagner la paix. En dépit des apparences, elle n'était pas encore faite. A Levgrad, des unités purement livadiennes combattait encore. Après deux ans de luttes et de défaites, elle n'avait plus que la consistance de compagnies, mais elle possédait encore une capacité combative, minime certes, mais toujours susceptible de faire couler le sang. Aussi, Rakels, suivant les ordres de Kaljulaid, proposa comme à Mitau, une reddition de soldat à soldat. Les Livadiens, qui déposeraient les armes, seraient considérés comme des prisonniers de guerre. En un mot, ils échapperaient aux griffes de l'OCSE. On s'engagea également à les libérer au bout d'un an. Comme à Mitau, la résistance livadienne s'effondra. Affamés et transis de froid, des dizaines et des dizaines d'hommes se rendirent aux patrouilles nationalistes.

Enfin, il allait falloir gérer les civils. Le camp Ostermann-Ivanovitch les recevrait. Ce camp  à l'origine quartier-général des commandos marines, avait été pris par les Républicains lors de la première bataille de Levgrad. Il avait été pillé, mais aujourd'hui, il servait d'hôpital de campagne et de camp de réfugiés. De nombreux civils s'y étaient déjà entassés lors de la constitution de la poche et on en recevait désormais d'autres. La plupart d'entre eux venait s'y nourrir. Il faut dire que le siège de la ville durait déjà depuis une semaine. Certaines femmes tombaient dans les bras de leurs sauveurs, ou embrassaient les aumoniers militaires, la plupart étaient hagards, simplement conscientes que le cauchemar s'achevait.

Néanmoins, de rapides calculs montraient bien qu'entre les premiers évadés de la poche, les prisonniers, et ceux qui venaient désormais à Ostermann-Ivanovitch, le compte n'y était pas tout à fait. Les plus durs des merksistes restaient sans doute encore en ville.

Depuis le port, Rakels regardait la mer. A la jumelle, il pouvait distinguer la flotte valdisk, mais aussi la livadienne et l'édoranaise. Enfin, il était arrivé au port de Levgrad. Il en avait rêvé depuis le jour où il avait du combattre en catastrophe pour dégager les abords de Livadia. Que de combats, que de peines pour enfin en arriver là !

Désormais, il faudrait gagner la paix, court-circuiter les Lansquenets, réintégrer prudemment et pas à pas Livadia dans les instances micromondiales. A l'ONA, Kaljulaid était présenté comme le dernier jallaniste ou pavloviste. En son for intérieur, Rakels savait que son combat était juste. l'armée avait évité la submersion merksiste, comme en 1914, comme aux origines…

Le micromonde le comprendrait-il ? En tout cas, il ne pourrait qu'applaudir à la semi-amnistie qu'on venait d'accorder à Levgrad, et le micromonde comprendrait que ses habitants, qui en revenant vers ses soldats, n'étaient pas le jouet de ces gens qui voulaient en faire leurs pions. Il pensait en particulier à Oubliot qui aurait voulu masquer sa défaite en ramenant du butin humain dans ses coffres tel un négrier ou à ces Scanthélois, toujours désireux d'offrir une aide, comme si la Livadie était le dernier pays du tiers-micromonde !

Non, songea Rakels, en voyant ses hommes hisser le beau drapeau blanc noir et bleu de son pays, aucune autre patrie du monde ne valait la sienne !

Vers 22 heures, dans le strict respect des accords de Svadaa, Rakels escorté par une compagnie de Gardes Livadiennes se présenta sur le port aux autorités valdisks. Derrière lui suivait un petit millier de prisonniers valdisks rendus à leur patrie. L'échange fut bref et protocolaire. Dans deux heures, la Livadie serait entièrement reconquise et rendue à elle-même.

Des rumeurs persistantes au sein des chancelleries micromondiales, des remarques quant au trafic relativement élevé des navires valdisks avaient mis la puce à l'oreille. Qu'importe, on avait pas non plus respecté tout à fait l'accord en gardant quelques Valdisks qu'on soupçonnait d'être de gros poissons.
L'essentiel était là, la ville était reprise, la guerre terminée, la victoire complète.

Les unités livadiennes investirent la ville. Quelques coups de feu se firent encore entendre. D'irréductibles merksistes livadiens se battaient encore. On les massacra sans ménagement. À l'arsenal, le frère de Veers se battait encore avec son carré de fidèles. Il fut pris d'assaut par les Lansquenets. Tabassé, l'homme fut extrait par les officiers qui le fusillèrent immédiatement. Et pour cause ! C'est lui qui avait pris la ville, alors qu'elle était restée fidèle au Roi. Il avait tué de nombreux soldats nationalistes lors de sa première prise. Ainsi, on cracha et on piétina longuement son cadavre. Veers, le Guide Suprême de la République était introuvable. On le déclara porté disparu.

Aussi, le sang livadien coula encore par intermittence cette nuit-là. Cent hommes perdirent encore la vie. Au petit matin, la ville avait été nettoyée et la fureur des hommes rassasiée. Les civils revinrent.

Et sous les vivats de la foule, on hissa le drapeau livadien, celui du Roi Lev, dans Sa ville reconquise.