Campagne de Ventspills

J-5 heures !

Kaljulaid et son état-major peaufinaient les plans de leur grande offensive. Les dernières unités atteignaient leur ligne de départ, les artilleurs vérifiaient une dernière fois leurs pièces et les mécaniciens effectuaient d'ultimes réglages sur les blindés, les hélicoptères, les avions et les drones. Et dans quelques minutes déjà, des paras sauteraient sur dans les lignes ennemies pour tenir des carrefours et perturber le dispositif ennemi.

L'objectif était simple. Mitau ! Après une lente montée en puissance, les Vrais Livadiens pouvaient se préparer à attaquer le saillant de Ventspills. D'énormes moyens avaient été mis en oeuvre : soixante mille soldats, deux mille appareils aériens, trois cent blindés. Ils étaient nécessaires. On assaillirait le saillant par l'ouest, le nord et l'est, il avait été puissamment fortifié par l'ennemi en particulier sa façade est, celle qui narguait Livadia. Dix mille jeunes lansquenets appuyés par quinze mille soldats réguliers y connaitraient leur baptême du feu.

L'offensive devrait changer le cours de la guerre. L'offensive aurait lieu du fort au fort. On voulait briser les reins de l'ennemi en détruisant son appareil militaire et en prenant sa "capitale". Après avoir percé les lignes, on voulait pratiquer de vastes encerclements, jouer de l'espace pour mettre les Républicains K.O.

- Fehérs ! Que les armes nous soient favorables !

Jet de dé :

I. Victoire défensive républicaine. Les Nationalistes sont repoussés avec de lourdes pertes et des contre-attaques locales ont lieu.

II. Victoire défensive républicaine. Les Nationalistes sont repoussés mais les Républicains ne sont pas en mesure de contre-attaquer.

III. Victoire nationaliste. L'issue de la bataille est très confuse, mais les Nationalistes en faisant quelques gains territoriaux et en perdant moins d'hommes que l'adversaire peuvent revendiquer la victoire.

IV. Victoire nationaliste. Les Nationalistes percent les lignes ennemies et enregistrent des gains territoriaux conséquents.

V. Victoire nationaliste. Les Nationalistes percent les lignes ennemies, enregistrent d'importants gains territoriaux, mais les Républicains se rétablissent devant Mitau.

VI. Victoire nationaliste. Déroute républicaine, l'armée s'effondre. Mitau est encerclée.

Kaljulaid n'avait pas fermé l'oeil de la nuit. Cette offensive était capitale. Si les Républicains la repoussaient, la guerre durerait encore de longs mois, des années. Si elle réussissait, elle briserait le gros de l'armée ennemie et le conflit sortirait de l'impasse.

Kaljulaid se livrait donc à un énorme coup de poker avec un atout dont il était sûr : Son armée. Une armée que lui et ses prédécesseurs avaient patiemment forgée afin qu'elle soit la plus efficace de la région.

Mais les Dieux étaient nationalistes.

Alors que le gros de l'armée républicaine avait nerveusement fortifié tout le saillant, la campagne allait se dérouler avec une chance insolente, une réussite déconcertante.

Après des attaques des forces aériennes, les armées nationalistes attaquent le saillant par les trois côtés. Au nord, les septième, huitième et neuvième brigades, nouvellement levées percent rapidement les lignes ennemies. En deux jours, elles progressent de quatre vingt kilomètres, rejetant les Républicains en bordure de Mitau. La progression est encore plus impressionnante à l'ouest. Les Livadiens, après avoir piétiné pendant quinze heures devant les lignes ennemies, débouchent en territoire libre et effectuent une poussée jusque vers les flancs sud de Mitau ne se heurtant qu'à une défense sporadique du Ier corps.

A l'est, la situation est plus difficile. Se frottant à des défenses redoutables et aux Gardes rouges, soldats et lansquenets livadiens se heurtent pendant vingt quatre heures aux solides barrages de canons. Ce n'est que par un mouvement contournant de la première brigade de combat de Klausburg que le front ennemi commence à se fendiller. L'avance est plus lente, et les Lansquenets paient un lourd tribut en particulier pour parachever l'encerclement de Novy-Krasnovosk.

Au soir du 6 mars, les unités, épuisés, s'arrêtent. L'avance a été importante, néanmoins, déjà les Républicains se sont ressaisis et mènent des combats retardateurs, le dos au mur, pour défendre leur capitale.

Plusieurs millers de Républicains ont été capturés. Une bonne centaine d'officiers a été fusillée sur place. Le reste va être remis à l'Office Central de la Sureté de l'Etat, qui saura les "gérer".

La victoire de Ventspills avait eu des conséquences qui se répercutaient à l'international. Aux abois, la République avait suggéré une réunion pacifique des deux états en même temps qu'elle s'était accoquinée avec une bande de pirates.

Le soutien sorabe inquiétait le Premier Fehér. Dans quelle mesure des éléments sorabes, conjugués à la petite flotte républicaine pourraient-ils renverser le rapport de force. Les nationalistes pouvaient compter sur la flotte livadienne soutenue par plusieurs vaisseaux édoranais et si l'ensemble semblait encore un peu frêle en face, le blocus serait fatalement plus difficile à tenir. De plus, les renforts livadiens étaient rares même si le NML Tania Chernkhov revenait d'Edoran et le NML Premier Fehér sortait enfin des arsenaux de Livadia.

Sur terre, la supériorité nationaliste était beaucoup plus nette. Déjà, on renforçait le dispositif et on préparait le lancement de la deuxième phase de la campagne avec pour objectif : Mitau.

Les opérations semblaient avoir marqué une pause sur l'ensemble du front, chacun des adversaires semblant reprendre son souffle avant la suite des opérations.
Une manœuvre de petite envergure avait été malgré tout entamée par le camp nationaliste. Pendant deux jours, trois brigades de Lansquenets avaient la réduction de la poche de Novy-Krasnovosk. Les Républicains avaient encaissé plusieurs assauts, les bombardements incessants de l'artillerie avec l'énergie du désespoir.
Après deux jours de combat, ils s'étaient rendus et mille d'entre eux avaient pris le chemin des caps de prisonniers. Quant à la petite ville connue pour ses starts-ups et son tissu de petites entreprises, elle était détruite à plus de cinquante pour cent.

Ainsi chantaient Lansquenets et soldats alors qu'ils partaient à l'assaut des lignes ennemies. Le sentiment que la victoire approchait les rendait enthousiaste. La destruction du saillant au nord de Mitau où s'était entassé le gros des forces sécessionnistes et la prise de la majeure partie de la province ne laissait aucun doute même aux esprits les moins éclairés. Après plus d'un an de conflit, les Nationalistes avaient désormais le dessus. Evidemment, il y aurait d'autres batailles, difficiles sans doute, mais désormais on ne craignait plus un massacre perpétré par les Rouges en plein Livadia et la victoire était à portée.

L'assaut fut donné comme de coutume au milieu de la nuit. Soixante mille soldats attaquent pendant que deux mille autres mènent une opération plus réduite en Lazournaïa pour nettoyer la province.

A l'est et à l'ouest de Mitau, les choses se déroulent d'une manière très satisfaisante. La jonction entre les brigades se fait à Pune qui tombe dans les premières heures de l'offensive. Néanmoins devant Mitau, l'avance est plus lente et même carrément freinée après quelques heures. Kaljulaid détourne dont l'offensive. On réduit la poche par l'ouest, et plutôt que d'engager de couteux combats de rue meurtriers et destructeurs dans Mitau, on en fait le siège.

Au sud de Mitau, donc l'encerclement se poursuit. Officiers et observateurs remarquent bien un flottement dans les troupes de Veers. La progression devient plus méthodique. Le front est plus discontinu. On tombe sur des points de résistance où l'ennemi se rend au premier coup de feu, et d'autres peuplés de militants merksistes endurcis. A Vormistaadt, le deuxième bataillon blindé de la troisième brigade est étrillé par les Gardes Rouges.

Après quarante-huit heures de combats difficiles, l'état-major donne l'ordre de la halte. Il a atteint ses objectifs. Devant les soldats en pointe du dispositif s'étendent les monts d'Argentorate balayés par un vent gelé et parsemés de glaciers. Hormis la poche de Mitau, les Sécessionnistes ne comptent plus que Levgrad qui relève du "pays utile" comme le disent les militaires. Ce sera le prochain objectif.

L'état-major annonça le décès du lieutenant réserviste Keipedas abattu pendant la bataille par un tireur isolé alors qu'il supervisait l'installation de sa pièce d'artillerie.

Loin derrière la ligne de front, la guerre continuait dans ce qu'on appelait déjà la poche de Mitau. Une zone géographique ressemblant à un ballon de rugby avec Mitau à l'une de ses pointes.

Huit mille soldats républicains s'y entassaient. Il s'agissait d'hommes fourbus, épuisés par une retraite qui les avaient laissés errant jusqu'à échouer à Mitau.

Quatorze mille nationalistes leur faisaient face, fermement décidés à dévorer leur proie terrée là.

Kaljulaid espérait obtenir la reddition de la poche sans trop verser de sang. Cent mille civils avaient fui la ville mais quatre cent mille y étaient toujours coincés. Hors de question donc de bombarder la ville : ce serait un bain de sang. Et puis il fallait éviter la destruction, récupérer le potentiel économique de la deuxième ville de Livadie sans trop l'endommager.

On mena des offensives limitées à l'est de la poche, en terrain découvert. On enfonçait sans trop de peine les défenses d'hommes complètement fourbues mais les pertes étaient encore trop importantes.

Aussi, Kaljulaid rusa. Par le biais de ses officiers, il rentra en contact avec les assiégés pour permettre l'évacuation des civils malades, des femmes enceintes, des jeunes enfants. Ce premier contact établi, il attaqua durement l'est de la poche jusqu'à atteindre les faubourgs de la ville.

Escomptant sur l'épuisement des défenseurs, il proposa une reddition militaire dans l'honneur aux assièges, de soldat à soldats. Ils s'engageaient à traiter les prisonniers comme des prisonniers de guerre, et non comme des rebelles, ce qui à priori leur permettraient d'échapper aux terribles bourreaux de l'OCSE, et s'engagea également à libérer les hommes du rang après un an de captivité, mais ce à partir de la fin du conflit.

On escomptait désormais une réponse.

Dans la poche, la situation était extrêmement difficile.

Militairement d'abord, la situation était difficile. L'armée républicaine était constituée de débris d'unités, échoués à Mitau. On comptait deux ou trois unités d'élite, dont un bataillon de Gardes Rouges, mais pour le reste, on n'avait que des jeunes hommes levés à la hâte, équipés bien souvent uniquement d'armes de poing.

Du point de vue du ravitaillement, la situation se tendait également. L'aviation républicaine avait promis du ravitaillement, mais rien n'était venu. Elle était fantomatique ces derniers jours. On avait mis en place le rationnement.

La situation était compliquée également pour les civils. Les quatre cent mille que la poche comptait encore mourait d'angoisse et complotait quasi-ouvertement à l'arrivée des nationalistes. Arkelsson regrettait en partie d'avoir permis l'évacuation des plus fragiles d'entre eux. Les fascistes s'étaient montrés rusés. Désormais, les civils n'espéraient plus qu'une évacuation. On avait du fusiller une centaine de défaitistes et de saboteurs.

Pour autant, Arkelsson savait bien que la situation était désespérée, mais il fallait gagner du temps. Aussi, on fit sauter les usines d'armement LIV-ARMS, on fit sauter les ponts importants, on sabota l'aéroport, et on mit feu aux réserves d'essence.

Après quoi, Arkelsson, la mort dans l'âme, se résolut à la reddition. Il déposa les armes, et enjoignit ses hommes à déposer les armes. La cité poussa un ouf de soulagement, à l'exception de quelques unités irréductibles qui refusèrent de se rendre.

Depuis l'hôtel de ville où il avait régné sur la poche. Arkelsson contemplait au loin les volutes de fumée qui s'élevait de la ville. Il avait échoué personnellement. Sur la place Nikolaï III, devant Veers, et ici. La Révolution avait échoué, et Livadia allait sombrer dans le fascisme, dans un régime pire encore que la monarchie.

Ses carences individuelles avaient mené la sécession à une catastrophe. Bientôt, il tomberait entre les mains des nervis de l'OCSE.

Il avisa son revolver sur la table, et en pleurant, non sans maudire une dernière fois ce monde immonde, il tira une dernière balle.

Les unités livadiennes investirent donc la poche après que les merksistes se fussent résolus à reconnaitre qu'il n'y avait plus d'espérance pour eux.

Mitau tombait enfin. La deuxième ville du pays, celle qui portait le nom du plus grand tragédien livadien. Il allait falloir la régénérer. Pour que jamais elle ne retombe à nouveau dans ce genre de travers, pour qu'elle soit digne de son rang de cité livadienne.

On fit donc près de cinq mille prisonniers. Il n'y eut presque pas d'effusion de sang, les unités livadiennes étant des troupes de réserve, de seconde main, moins politisée. Néanmoins, on tomba sur le chef des propagandistes de la République, celui qui réclamait "la mort pour les chiens fascistes, le viol pour les chiennes fascistes." Des soldats lui défoncèrent le crâne à coup de crosse et il mourut dans un caniveau.

La ville était prise donc et près de cinq mille nationalistes purent rejoindre le front. Néanmoins, il fallait conserver quelques troupes dans la villes, plusieurs centaines d'hommes ne se rendant pas et entamant une guérilla désespérée. La mort leur était promise, il était en quelque sorte "deux fois" rebelle.